Abdel Aboualiten au festival d'Avignon

Festival d’Avignon 2012 : Dans le « off », trois auteurs Maghrébins s’expriment : Mériam Bousselmi, Aziz Chouaki et Abel Aboualiten

Théâtre et politique se sont donné rendez-vous en Avignon. Retour du réel, échos d’un monde en mouvement. Dans le « off », cette année, on entendra sourdre la révolte du « printemps arabe » et la libération de la parole qui accompagne les révolutions. La Tunisie y est ainsi à l’honneur avec Mémoire en retraite, de Mériam Bousselmi, une pièce créée à la veille de la chute de Ben Ali, dans laquelle le pouvoir dictatorial est interrogé au travers de la relation entre un père et son fils.

L’histoire algérienne est retracée, elle, par l’entremise du conte, dans Les Oranges, d’Aziz Chouaki, et aussi avec Où j’ai laissé mon âme, de François Duval, qui y transpose le roman de Jérôme Ferrari sur la torture pendant la guerre d’Algérie.

Avec la pièce Je suis un prophète, c’est mon fils qui l’a dit !, Abel Aboualiten fait, quant à lui, un pied de nez au politiquement correct pour sonder la religion musulmane. Un spectacle estampillé « Avignon » joué pour le troisième été de suite au Théâtre des Amants. « J’ai créé ma première mise en scène de la pièce en 2010 dans cette ancienne chapelle en vieille pierre, raconte Abel Aboualiten. La salle et la scène sont petites mais pleines de charme. »


« Le « off » est une chance »

C’est dans ce lieu atypique qu’en 2011 il est enfin repéré par les programmateurs de la Maison des métallos, à Paris, où on l’aura vu se produire ce printemps.« Quand on envoie des dossiers aux théâtres pour proposer un spectacle, on a rarement de réponses. Le « off » d’Avignon permet d’entrer directement en contact avec des directeurs et des programmateurs. C’est une chance, mais aussi un risque financier », explique le comédien, qui finit tout juste de payer les frais de location de la salle d’Avignon pour 2011. Cet été, il faut tout recommencer encore pour espérer faire voyager la pièce. Mais, nouveauté, l’auteur part aussi en quête d’une maison d’édition. « Le texte n’a jamais été publié. Je prends actuellement des contacts pour que des éditeurs viennent voir le spectacle », poursuit l’artiste.

Dans Je suis un prophète, c’est mon fils qui l’a dit !, Abel Aboualiten, qui a 57 ans, puise dans ses souvenirs d’enfance. Une pièce « en partie romancée », où il brocarde avec humour et poésie l’obscurantisme dans l’islam pour dénoncer l’aveuglement des religions en général. Sur scène, deux troncs d’arbre, une poterie et une odeur de menthe suffisent à planter le décor d’enfance. Pour le reste, l’acteur se fie à son corps.

Né à Tétouan, au Maroc de parents berbères, Abel Aboualiten s’initie à l’acrobatie sur la plage, une tradition marocaine qui le conduira jusqu’au club de gymnastique artistique. « Quand je suis arrivé en France, en 1977, j’étais pauvre, mais j’avais conscience d’avoir un atout extraordinaire : le corps. Un comédien est avant tout un corps qui peut susciter l’émotion par un simple geste. »

En France, il intègre l’Ecole du cirque d’ Annie Fratellini et Pierre Etaix, avant de poursuivre sa formation à l’école du mime Marceau. Il se lance ensuite dans le spectacle de rue, puis dans le théâtre. Avec Philippe Minella, il crée la compagnie Le Théâtre nu, où se mêlent théâtre et mime. L’obsession du corps, encore et toujours. Lorsqu’il remplace un comédien dans la tournée européenne de L’Os, de Birago Diop, mis en scène par Peter Brook, il découvre L’Espace vide, un essai dans lequel le dramaturge britannique théorise la manière dont le comédien doit s’approprier l’espace.

Traumatismes

Dans ce monologue, le comédien retourne justement dans le ventre de sa mère, puis dans son enfance marquée au fer rouge par les traditions musulmanes. Il témoigne des traumatismes en pointant la violence tapie sous le masque de la religion. Sa circoncision, décrite par un cri de douleur étouffé, est mise en rapport avec le sang du mouton versé le jour sacré de l’Aïd, le seul où sa mère n’était pas battue par son père, jour de paix oblige. « Je ne parle pas des musulmans en général, je remets en question certaines pratiques de l’islam que je considère hypocrites… Avec la montée de l’extrême droite, il est compliqué de questionne. . Le mot de racisme arrive immédiatement, comme si un immigré ne pouvait réfléchir sur sa culture.

Aujourd’hui, Abel Aboualiten est sorti de l’islam et ne s’en cache pas. Sa pièce prône même un droit à l’apostasie au nom du droit à la liberté de conscience. « Je n’ai pas peur de dire que je ne suis plus musulman. Pourtant, je sais que, chez nous, c’est quelque chose que l’on ne veut pas entendre. Le théâtre, justement, est fait pour parler des choses qui dérangent. »

Votre programme:

Je suis un prophète, c’est mon fils qui l’a dit !, à 20 h 15, du 7 au 28 juillet, relâche le 23, au Théâtre des Amants. Tarifs : 15 €, carte adhérent public : 10 €, enfant : 8 €.

Les Oranges, à 15 h 05, du 7 au 28 juillet, au Petit Louvre. Tarif : 19 €.

Où j’ai laissé mon âme, à 11 heures, du 7 au 28 juillet, au Petit Louvre.

Tarifs : 18 €, carte adhérent public : 12 €.

Sur le Web : www.avignonleoff.com.

Article de Sabrina Bouarour dans Le Monde

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