"Ultra Lalla", la double peau des femmes

Lotfi Akalay présentera son dernier recueil  » Ultra Lalla  » lors du 19e Salon International de Tanger des Livres et des Arts le samedi 9 mai à 15h au Palais des Institutions Italiennes dont le thème est FEMMES. Soyez nombreux à venir découvrir ce délice d’humour, tendre et féroce à la fois.

Photo de couverture par Catherine Baret

Lotfi Akalay nous propose un recueil de textes sur les femmes, source d’une observation sensible, acerbe et délicate de la gente féminine et de sa relation aux hommes… Dans ces pages savoureuses, il nous parle aussi de la vie, des sentiments, de la société, de la religion, des prénoms incompatibles avec la réussite financière, du droit des femmes, du saccage des choses, du jazz, des voyous,… toujours de façon sensible, poétique, drôle et souvent grinçante.

Pendant le quart d’heure de récré dans la cour du lycée quelqu’un a dit : « les femmes ont deux peaux ». Pas de réaction visible, comme si cette annonce allait de soi ; pas de surprise ni de doute, tout juste un haussement d’épaules à l’écoute d’une telle évidence. Aujourd’hui nous dirions une lapalissade, ou, mieux encore, un truisme, terme plus recherché car moins banal pour désigner une banalité. Oui, la femme a deux peaux, une sorte de double cuirasse cutanée qui semble la rendre insensible aux appréciations de son entourage masculin, et inaccessible à nos sentiments d’ados en perpétuels coups de foudre. Les filles, nous n’en finissions pas de les aimer, et elles de nous battre froid. Nous ignorions que c’est cette indifférence affichée et protectrice, prétendument affublée de deux peaux, alors que nous n’en avions qu’une et même aucune, qui nous mettait à découvert de leur insensibilité de façade. Une indifférence feinte, songions-nous en guise de consolation. Qu’elles nous vouent en cachette un bouquet de sentiments clandestins car inavoués, suffisait à nous rassurer : nous étions aimés à leur insu, folle consolation aussi diffuse qu’exubérante. Tout se passait comme si, à notre amour tapageur, elles opposaient un inaudible soupir muet. Nous en sommes là, nous les hommes.

Question apparemment saugrenue et néanmoins légitime : pourquoi les hommes parlent-ils si abondamment des femmes, tandis que les femmes sont si peu disertes à notre sujet ? Il y a tant de colloques sur les femmes et si peu de commentaires féminins sur le genre opposé ? Pourquoi ? J’attends la réponse…

Pour vous mettre en bouche, en vue, en joie, comme vous voudrez… voici un des textes de « Ultra Lalla » par Lotfi Akalay, (page 100) intitulé:

Poupée de roseau


– Dis, maman, pourquoi les appelle-t-on poupées de roseau ?‬‬‬‬‬‬

– Parce que leur charpente intérieure est faite d’un roseau creux coupé de sa tige.‬‬‬‬‬‬

– ‪Où trouve-t-on des roseaux à Tanger ?‬‬‬‬‬‬‬‬

– ‪Loin de la ville, alors qu’avant, on les voyait un peu partout ‬‬autour de nous.‬‬‬‬‬‬

– Où ça ?‬‬‬‬‬‬

– ‪Là même où ont poussé tous ces immeubles récents.‬‬‬‬‬‬‬‬

– C’est quoi, un immeuble récent ?‬‬‬‬‬‬

– C’est un immeuble à la façade lépreuse où la plupart des ascenseurs sont entrés en panne définitive.‬‬‬‬‬‬

– Parle-moi de choses plus gaies ; comment habille-t-on ces poupées ?‬‬‬‬‬‬

– On les habille de bric et de broc, de chutes de tissus glanés ça et là et de n’importe quoi, pourvu que ça te plaise.‬‬‬‬‬‬

– Je n’en vois aucune dans la vitrine des magasins de jouets.‬‬‬‬‬‬

– ‪C’est parce qu’elles en ont été chassées par des poupées en ‬‬plastique made en Ailleurs.‬‬‬‬‬‬

– Ailleurs, c’est où ?‬‬‬‬‬‬

– En Chine.‬‬‬‬‬‬

– ‪C’est là-bas qu’elles sont fabriquées ?‬‬‬‬‬‬‬‬

– Fabriquées ? Non. Elles sont usinées. Tandis que de mon temps, nous autres petites filles, nous prenions plaisir à les faire

nous-mêmes, à leur donner vie et couleurs selon nos goûts.‬‬‬‬‬‬

– ‪Chut… pas si fort ! si les Chinois t’entendent, ils vont se mettre‬‬ à en confectionner à tour de bras, on en trouvera partout, comme le bakchich.

– Tu as raison. Et sache que toi aussi, tu peux en fabriquer.‬‬‬‬‬‬

– Du bakchich ?‬‬‬‬‬‬

– Non, ne te donne pas cette peine, il y a des fonctionnaires pour ça. Contente-toi d’habiller la demoiselle de roseau, invente pour elle des caftans aux couleurs trépidantes, dessine sur son visage l’immensité de ton cœur et le sourire de l’enfant qui rêve, donne à ses lèvres la saveur du printemps, dispose sur sa tête des cheveux lancés dans le vent comme un jet d’étincelles, insuffle en elle la puissance de cette force primitive qui a peuplé mon enfance, donne-lui une âme qui l’élèvera dans la mélodie de notre univers tangérois au temps jadis où la création ludique était l’œuvre des fillettes. Grâce à l’habileté de tes doigts, tu logeras en elle le noyau de feu de ta passion créatrice et l’ivresse de ta jeunesse. A partir d’une simple tige de roseau, tu feras naître une créature plus parfaite que la perfection elle-même. Ma fille, apprends à pactiser avec le rêve !‬‬‬‬‬‬

– Comme tu y vas, maman ! Le roseau te rend lyrique !‬‬‬‬‬‬

– C’est dans le relief des choses qu’on trouve la lumière des mots.‬‬‬‬‬

Le dernier livre de Lotfi Akalay, « Ultra Lalla », est disponible sur Amazon.com à 6,86 € et le sera bientôt au Maroc. Lotfi Akalay est édité par Frogeraie Editions

A propos de Lotfi Akalay

Après des études universitaires en sciences politiques à Paris, il devient représentant Royal Air Maroc à Rabat puis à Beyrouth (en pleine guerre du Liban). A son retour au Maroc, il ouvre une agence de voyages à Tanger (Calypso). Il commence à écrire pour la presse marocaine en 1990 (Al Bayane, la Vie Economique) et étrangère (Charlie Hebdo, Jeune Afrique) et anime à Radio Medi 1 des émissions de jazz et de musique classique. En 1996 il publie Les Nuits d’Azed (Seuil), son premier roman puis en 1998 Ibn Battouta, Prince des Voyageurs (Le Fennec). Les nouvelles de Tanger, recueil de chroniques est publié en 2006.  Quatre parutions récentes chez Frogeraie Editions ,  » Aicha disait », « Le voile ne cache pas tout », « Conversations avec Ibn Battouta » et « Tanger, c’est Tanger ». Son dernier ouvrage Ultra Lalla vient de paraître et sera présenté au Salon du livre de Tanger le 9 mai 2015.

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