Dans l'intimité du Maroc avec Gabriel Veyre

Jusqu’au 27 Juillet, à Tanger, une magnifique exposition des photos de Gabriel Veyre : « Dans l’intimité du Maroc » séduit tous les publics. Elle fascine et retient les visiteurs longuement.

Tanger, Saint-Andrew church à gauche, le Grand Socco à droite

Il s’agit de photographies et de films réalisés dans le pays entre 1901 et 1936 par Gabriel Veyre, des images qui constituent aujourd’hui un document exceptionnel sur la mémoire visuelle du Maroc du début du XXème siècle.

Mise en œuvre par l’Institut Français du Maroc, elle est tout d’abord inaugurée le 17 Juin à Casablanca dans le nouveau Musée de la Fondation Abderrahman Slaoui puis transmise à Tanger au Musée de la Kasbah, site idéal pour la recevoir.

Cette exposition est unique : miroir du regard d’un homme amoureux du Maroc et qui va y résider pendant 35 ans.

L’exposition : un témoignage rare

L’exposition ne propose pas que des photos puisqu’elle commence par la projection en boucle d’un film muet de 60 minutes réalisé par Gabriel Veyre en 1934-35, un des premiers films couleurs réalisés au Maroc en 16mm. Ce film, où Gabriel Veyre a inséré des intertitres qui légendent les images, présente un panorama de différentes villes, lieux et scènes de la vie quotidienne marocaine.

Dans la salle des autochromes, se trouvent une soixantaine de grandes diapositives, exposées en transparence dans des boites lumineuses accrochées aux cimaises. Ces autochromes réalisés entre 1934-1935 nous entrainent dans un véritable périple Marocain qui mêle paysages, villes et portraits, tous légendés. L’autochrome est le premier procédé industriel de photographie en couleurs mis au point par les Frères Lumière en 1905 : mosaïque d’innombrables et microscopiques grains de fécule de pomme de terre colorés en orange, vert et violet interposés ensuite entre une plaque de verre et une émulsion photographique au gélatino-bromure d’argent.

Une autre salle du musée est dédiée à la vie de Gabriel Veyre, à sa vie à la cour chérifienne en 1901, et aux scènes de la vie quotidienne dans les médinas de Fès et de Marrakech. Ces photographies réalisées avec un stéréoscope (également exposé) permettent, grâce à des lunettes adaptées, de voir la projection en relief.

Une troisième partie laisse découvrir cinq petits films; les premiers tournés au Maroc en 1901, à Marrakech, avec le cinématographe des frères Lumière.

À travers cet ensemble, l’exposition nous fait rêver un Maroc du début du 20e siècle, un Maroc authentique qu’on aurait aimé parcourir, explorer, habiter, vierge encore de toute modernité et de l’afflux du tourisme. Ces images poétiques et légendaires ont gardé toute leur fraicheur et leur impact.

Dans l’intimité du sultan

Mais comment ce pharmacien passionné de photographie et d’électricité est-il arrivé au Maroc, en ce tout début du XXème siècle?

Autoportraits de Gabriel Veyre

Né en Isère en 1871 Gabriel Veyre obtient son diplôme de pharmacie en 1891.

En 1896, Gabriel Veyre a 25 ans. Il sillonne le monde pour le compte des frères Lumière, inventeurs du cinématographe et de la photographie des couleurs, pour propager leur nouvelle invention à travers le monde.

Quartier juif de Marrakech Les 4 ministres du sultan

Matériel photo de Gabriel Veyre

En 1901, on lui propose d’enseigner la photographie au jeune sultan du Maroc, Moulay Abd el Aziz, une mission qu’il accepte sans hésiter. Curieux insatiable, le sultan veut tout connaître de la photographie, et plus généralement des inventions technologiques de l’époque en Occident. Promu « ingénieur de sa majesté chérifienne », Gabriel Veyre entretient une relation de grande amitié avec le sultan et s’installe définitivement au Maroc après la mort en couches de sa femme. Ces années dans l’intimité du sultan à Fès et Marrakech lui ont permis de produire des images qui constituent aujourd’hui un témoignage photographique extraordinaire ainsi qu’un livre justement intitulé Dans l’intimité du sultan.

Autochromes stéréoscopiques et port

Gabriel Veyre, un destin singulier

Ecoutons-le :

« Je me reposais au bord du Rhône de tant de lointains voyages, lorsque j’appris qu’on cherchait un homme, un ingénieur à même d’enseigner tout d’abord au sultan du Maroc, la photographie dont il s’était épris, puis de l’initier, au besoin,aux plus récentes découvertes modernes : derniers perfectionnements de l’électricité, téléphonie et télégraphie mêlées, cinématographe et phonographe, bicyclette jusqu’à l’automobilisme, si la chose lui chantait. Pourquoi pas moi? (…) Ma candidature fut posée, on m’agréa. Je partis. C’était au commencement de 1901. »

Fantasia et Casbah près de Midelt

Pendant les trente années qui vont suivre, Gabriel Veyre va développer au Maroc de nombreuses entreprises toutes utiles sinon originales, et toutes motivées par le progrès: minoterie, fabrique de glace, briquetterie, élevage d’autruches, électricité, concession automobile, etc…

Cet insatiable précurseur crée une station TSF (téléphonie sans fil) et devient le président de Radio-Maroc, il fait venir les premières voitures et fonde le garage Auto Hall que tous les Casablancais connaissent encore aujourd’hui, ainsi que l’Automobile Club du Maroc. Quant à sa ferme de Dar Bouazza, elle se transforme en laboratoire où sont tour à tour incubés des œufs d’autruche ou encore croisés des zébus avec des vaches locales jugées trop chétives…

Autochrome stéréoscopique

Puis, à 63 ans en 1934, Gabriel Veyre décide de se remettre à la photo et de voyager à travers tout le Maroc qu’il va sillonner dans sa Ford pour immortaliser des centaines de paysages et filmer des scènes de la vie quotidienne. Les portraits issus de ces rencontres sont à l’image de leur auteur, loin de tout exotisme.

Gabriel Veyre meurt l’année suivante à Casablanca où il est enterré. Il laisse en héritage ces images qui, au-delà de leur valeur historique, témoignent d’un regard profondément humain. Ses petits enfants ont veillé à leur bonne conservation.

Animé d’une foi inébranlable dans l’avenir, il s’est passionné toute sa vie pour les nouvelles technologies, d’où le titre de “Docteur Veyre” qui ne l’a plus quitté depuis son arrivée au Maroc en 1901, et dont une rue de Casablanca porte encore le nom.

La technique de l’autochrome sera abandonnée au profit de Kodachrome et d’Agfacolor en 1936, l’année de sa mort.

C’est une exposition à voir et revoir absolument ! Elle est produite pour la saison culturelle France Maroc, en partenariat avec la galerie Lumière des Roses, le Musée Nicéphore Niépce et les Editions Malika qui ont réédité pour l’occasion le très beau livre des photographies de Gabriel Veyre (1901-1936) paru en 2005 et qui était épuisé.

L’exposition circulera dans les mois qui viennent à El Jadida, Rabat, Meknès, Oujda, Marrakech et Safi.

A Tanger, d’immenses photos la signalent au cœur de la cité sur les murs du Consulat de France, ce qui est une excellente idée d’affichage. On aura du mal à les voir quitter la place !

Aïch Bengio

Site de l’oeuvre de Gabriel Veyre: www.gabrielveyre.com

Leave a Reply

Your email address will not be published.