Avec une immense tristesse, le 12 août dernier j’apprenais la disparition de la rayonnante Najoua Elhitmi. J’ai fait sa connaissance en mai 2017 lors d’un voyage que j’avais organisé à Tanger avec les partenaires de la Biennale d’art contemporain de Lyon. Elle nous fut présentée par Olivier Conil qui avait eu la gentillesse de nous brosser un panorama de la scène artistique contemporaine de Tanger.

Ce jour là, Olivier Conil nous avait présentés sur la terrasse de sa galerie de la Médina Catherine Baret, Omar Mahfoudi, Amina Rezki et Najoua Elhitmi qui nous avait exposé sa démarche et son travail. Elle nous avait aussi régalé d’excellents plats marocains, car Najoua était également excellente en cuisine…
Depuis ce moment, j’ai suivi avec intérêt toutes les étapes de son parcours artistique, souvent relaté sur ce site.
Najoua était une personne rayonnante, déterminée, immensément positive, engagée, entreprenante, gentille au sens noble du terme et une formidable artiste multi-facettes au talent immense et en permanente évolution…
Pour rendre hommage à Najoua, j’ai sélectionné trois témoignages pour rappeler à nos mémoires cette belle personne fauchée trop tôt par la maladie et enlevée à son beau destin artistique.
Une pensée pour ses enfants, sa famille et ses proches.
Paul Brichet
C’était ma fée par Stéphanie Gaou.
J’ai cherché cette photo toute la matinée. C’était en mars 2022. Najoua rayonnait et prenait sa vie en main. Son art également. Nous avons toujours beaucoup travaillé toutes les deux. Nous avons toujours échangé autour de nos doutes, de nos désirs, de l’art, elle a été à mes côtés lorsque Jean est mort, nous avons organisé une exposition pour sa mémoire grâce à elle.
C’était ma Fée. Depuis qu’elle s’était installée rue Velazquez pour l’ouverture de Zawia, nous partagiions encore plus de moments. Pas un évènement sans qu’elle soit des nôtres. Toujours du partage. Et de l’amour à donner. Des appels réguliers. Des hammams (moi qui détestais ça pourtant), des baignades, des marches, des dîners, des cafés, tant de jolis moments que nous voliions à nos emplois du temps. De l’amour encore et toujours comme elle le méritait tant. Najoua était une étincelle qui cherchait la liberté. La liberté coûte cher pour les femmes. Nous en parlions sans cesse.
Je remercie ses enfants de m’avoir permis d’aller la voir lorsque la maladie n’était pas encore trop coriace. Ce n’était pas assez, mais je m’estimerai toujours heureuse d’avoir pu lui tenir la main, de lui parler, de la détourner de la douleur. Ce fut trop court toujours et je voulais croire au miracle.
Le miracle n’a pas eu lieu : ma Fée a rejoint Jean, artiste nomade que j’aimais tant et qui a lui aussi voyagé auprès des étoiles. Comme ma Fée va me manquer. Comme je pense à toutes celles et ceux qu’elle a connus qui vont se sentir orphelins. Pensées et amour à ses enfants et à tous ses proches.
Une belle âme par Madiha Hajoui.
Najoua Elhitmi, une belle personne dans les deux sens du terme nous a quitté et ce dans la fleur de l’âge. Une belle âme animée par l’amour de l’art avec un grand A et la quête de sens, du vrai qui apparait grâce à la perception du faux, car qui peut approcher la « vérité », ce concept galvaudé que chacun cuisine à sa sauce. Avant tout, prêter une intense attention à la compréhension de soi. Et la complexité de cette tâche importante était partie prenante de la quête de Najoua.
Il me vient à l’esprit ce propos de Dostoievski adressé à son frère : « L’homme est un secret. Il faut le percer et si tu t’y attaches toute ta vie, ne dis pas que tu as perdu ton temps. »
Chère Najoua, bien que tu ais parcouru cette vie à toute allure, ton chemin a été tout tourné vers l’essentiel, cet essentiel que beaucoup négligent de leur vivant. Ainsi tout est accompli.
Que la paix et l’amour t’inondent en cette autre présence. Ala8re7mek!
Je présente ici mes condoléances attristées et mes pensées de soutien à toute sa famille et à sa belle famille.
Najoua Elhitmi, spontanéité et maîtrise par Eden Art Gallery.
Dans l’oeuvre de Najoua El Hitmi, la peinture devient le lieu d’un affrontement subtil entre spontanéité et maîtrise, où chaque trace déposée sur la toile est moins une illustration qu’un acte de présence.
Le geste, tantôt impulsif, tantôt réfléchi, ne vise pas la représentation mais s’érige en sujet. Il compose des surfaces où le trait, affranchi de sa fonction descriptive, acquiert une autonomie presque organique.
Née à Tanger en 1978, Najoua a d’abord parcouru le monde avant de faire de la création artistique sa terre d’ancrage. Son exposition Amazonia, présentée à l’Eden Art Gallery, témoigne d’un basculement. À la faveur d’un séjour en Amazonie, l’artiste crée des oeuvres comme une écriture dans un carnet de voyage : elle capte, absorbe, transforme. La toile devient un champ magnétique, traversé par des forces contraires, telluriques et intuitives.
Chez Najoua, la peinture n’est jamais un simple médium. Elle est matière à penser, matière à éprouver. Loin de tout didactisme, son travail évoque les expérimentations de l’art informel et du tachisme, tout en s’inscrivant dans une continuité sensible avec une tradition du geste, à la frontière de l’écriture.
Une tension féconde s’y joue, entre les archétypes et l’expérience contemporaine, entre la mémoire des formes et leur dissolution. Refusant les dualismes classiques –figuration/abstraction, intérieur/extérieur, maîtrise/abandon – Najoua opère dans un entre-deux fertile : celui de la porosité.
Chaque oeuvre naît d’un processus patient et engagé. Des couches successives se superposent, oscillant entre opacité dense et éclats translucides. L’oeil du spectateur n’est jamais au repos : les formes apparaissent, disparaissent, se recomposent. Rien n’est figé, tout respire. Cette instabilité formelle est un choix – presque une éthique – qui fait de chaque composition un palimpseste vivant. Il ne s’agit pas de montrer, mais de faire advenir.
Dans ces réalisations récentes, les teintes s’ancrent dans une palette tellurique : terres profondes, verts denses, blancs laiteux et noirs liquides. Des couleurs qui semblent avoir traversé la forêt, les fleuves et les cendres. Comme si la toile avait absorbé les éléments. À la manière des avant-gardes du XXe siècle qui cherchaient à libérer le trait de sa servitude figurative, Najoua interroge la possibilité même de l’image stable.
Mais il serait erroné de chercher chez elle une affiliation théorique ou une école. Najoua ne revendique aucune appartenance : elle agit. Sa peinture est une entreprise d’émancipation, un geste d’auto-définition. Là où tant d’oeuvres cherchent à séduire ou à s’expliquer, les siennes résistent.
Elles demandent à être habitées, scrutées, questionnées. Elles exigent une présence. Mahmoud Darwich écrivait : « Je trace la terre avec les mots de mes pas. »
De même, Najoua peint non pour montrer, mais pour marcher, pour inscrire un passage. Et dans ce cheminement, dans cette écriture silencieuse du geste, se joue peut-être l’essence même de son travail: une invitation à penser l’image peinte non pas comme un miroir du monde, mais comme une traversée sensible du réel. Ou, du moins, de ce que l’on pense du réel.
A propos de Najoua Elhitmi
Najoua est née à Tanger en 1978 où elle vit et travaille. Mariée à un médecin et mère de trois enfants. Après des études de tourisme à Tanger, elle collabore pendant 16 ans dans l’agence Hit Voyages créée par son père.
A 33 ans, elle se met à la peinture comme une révélation. Elle passait régulièrement devant un marchand de couleurs à côté de l’agence et un jour elle entre dans la boutique, achète des toiles, de la peinture, des pinceaux et comme une évidence elle se met à peindre.
Najoua est une artiste autodidacte.
Elle se consacrait totalement à son activité artistique de peintre et de sculpteur.




