La Chronique de Lotfi ! # Policier à Tanger

Policierà Tanger- Chronique de Lotfi AkalayLa Chronique de Lotfi !

Policier à Tanger

Policierà Tanger- Chronique de Lotfi Akalay

Vendredi 18 novembre 1994 à 10 h 40, le petit taxi n° 99 s’arrête place de France entre le café de Paris et la pharmacie du même nom.
Un malfrat aidé du chauffeur s’emparent de deux jeunes filles âgées d’une quinzaine d’années et les embarquent de force dans la voiture en les bourrant de coups de poings.
Un policier est posté à dix mètres de ce qui visiblement s’apparente à un rapt. Il tourne le dos au taxi.
Un passant scandalisé par cette brusque scène de violence lui demande avec insistance d’intervenir. L’agent d’autorité ou de ce qu’il lui en reste s’approche nonchalamment du taxi et discute brièvement avec les deux kidnappeurs.
Les filles battues mettent à profit cette miraculeuse diversion pour disparaître en se fondant subrepticement dans la foule des badauds, puis le taxi repart sans sa cargaison humaine.
Le passant qui avait alerté le policier s’approche et lui demande des explications.
L’agent répond : « Rien de grave, c’était des filles de mauvaise vie qui refusaient de régler la course, circulez. » Authentique et vérifiable.
Chaque fois qu’un policier voit un automobiliste brûler un stop ou un feu rouge, il tourne ostensiblement le dos à l’auteur de l’infraction parce qu’il ne veut pas essuyer des quolibets et, sait-on jamais sur quel nabab on tombe, devoir subir des représailles ; il pourrait s’agir d’une personnalité illustre de Tanger, de ces gens qui pèsent plusieurs quintaux de cannabis et qui à eux seuls font carrément aller rondement le bâtiment.
C’est cette quadrature du cercle qui fait tourner l’économie de la ville.
C’est ainsi : l’infraction se déroule à sa barbe et il lui tourne le cul, une grillade de feu pareille à un barbecue, mais que voulez-vous, vu son salaire, c’est l’unique méchoui qu’il peut s’offrir.
J’ignore ce qu’il en est des autres villes, mais ici à Tanger, le gardien de la paix tient par-dessus tout à garder la sienne. Il n’a aucun intérêt à chercher noise à nos principaux exportateurs qui ont toute latitude de lui tomber dessus à bras raccourcis car ils ont le bras long.
Parfois j’observe un policier debout sur le trottoir face à l’anarchie de la circulation et soudain l’envie de faire ma B.A. m’enjoint de lui venir en aide en lui faisant traverser la rue.
Quand il fait froid il grelotte dans sa chemisette kaki et sitôt arrivées les premières chaleurs on le voit transpirer dans son pesant uniforme gris bleu.
L’amplitude thermique, il connaît.
S’il est vrai que douanier rime avec denier et gendarme avec dirham, c’est par le plus incongru des hasards que flic rime avec fric.
Son salaire ne dure guère davantage que le temps d’une garde à vue, et c’est tant mieux pour les présumés suspects.
Si la police manque si cruellement de fonds, faudrait-il la privatiser ? Supposons la chose faisable et souhaitable : quel est le jobard qui l’achèterait ? Même un dirham symbolique serait trop cher payer.
Au train où vont les choses, la vocation risque de s’étioler et il faudrait alors lancer une vaste campagne d’enrôlement :
« une cure d’amaigrissement ? Devenez policier ».
Une façon comme une autre de mettre l’obèse et le policier sur la même largeur d’ondes.
Pour renflouer les caisses de nos commissariats, pourquoi ne pas organiser une exposition internationale des plus vieilles machines à écrire encore en activité dans le monde ?
Elles se vendraient à prix d’or dans les enchères londoniennes aux côtés des silex de la préhistoire et des antiques amphores phéniciennes.
On pourrait aussi organiser une visite guidée des caves de certaines villas de Derb Moulay Cherif où jadis par la grâce du sinistre Kaddour le rouge n’avait pas le temps de fermenter.
C’était hier à peine et pourtant il paraît si loin le temps où nous recevions notre poing quotidien.

Lotfi Akalay

 

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One Response to "La Chronique de Lotfi ! # Policier à Tanger"

  1. Lorin  29 octobre 2017 at 12 h 26 min

    Comme vous avez pu le lire c’était en 1994
    C’est un peu différent aujourd’hui

    Répondre

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