« Les Loups de Tanger » ou la genèse de la French Connection.
21 avril 2025 by No Comments
Dans « Les Loups de Tanger » ou la genèse de la French Connection, l’historien Jacques de Saint Victor raconte, dans un thriller haletant, la naissance, dans les années 1950, du réseau de narcotrafiquants qui a organisé l’exportation d’héroïne aux États-Unis.
Transports de produits du Rif dans les rues de Tanger…
Jacques de Saint Victor est-il le nouveau Mario Puzo (1920-1999), auteur génial du Parrain, gros best-seller du siècle dernier ? Comme son aîné, cet historien, professeur à la Sorbonne, conjugue l’art de conter et la connaissance approfondie de son sujet. Il sait aussi surprendre, emballer, ficeler. Attention danger, si vous commencez Les Loups de Tanger, vous ne pourrez plus vous arrêter : ce roman est addictif.
Ici, le suspense se marie avec l’expertise. Après avoir écrit un classique, Un pouvoir invisible. Les mafias et la société démocratique, XIXe-XXIe siècle (Gallimard), Jacques de Saint Victor nous raconte, sur le mode romanesque, la genèse, dans les années 1950, de la French Connection, ce réseau de narcotrafiquants qui a organisé l’exportation d’héroïne aux États-Unis depuis la France via Tanger, la Turquie ou l’Indochine.
Même si le style est enlevé, l’auteur n’y est pas allé au flanc : quand on lit ses remerciements à la fin du livre, on comprend qu’il a tout lu avant de se lancer et qu’il a même beaucoup farfouillé dans les Archives nationales, jusque dans les cartons secrets de la DST ou de la préfecture de police.
Tout est vrai et tout est faux
C’est ainsi que revivent sous nos yeux fascinés, au milieu des personnages de fiction, tous les « parrains » ou acteurs du trafic de drogue, qui n’en sont encore, au début du livre, qu’à la contrebande de cigarettes. Au hasard : le « chanceux » Lucky Luciano (statue du Commandeur, souvent considéré comme le père du crime organisé aux États-Unis), qui contrôle le « syndicat » depuis l’Italie où il s’est retiré, y devenant, entre autres, confiseur ; Jo Renucci, bientôt l’associé du précédent, qui bénéficie des plus hautes protections en France et au Maroc ; les Guérini, grands patrons du milieu corso-marseillais ; « Monsieur Marcel » (Marcel Francisci), le « boss » aux airs de notable, ancien de la France libre, élu gaulliste en Corse, surnommé « Mister Heroin » par la presse américaine ; Nick Venturi, auquel le Bureau des narcotiques des États-Unis a donné le titre de « caïd de la drogue », longtemps très proche de Gaston Defferre, maire socialiste de Marseille.
Dans Les Loups de Tanger, tout est vrai et tout est faux, comme dans la vie ou les romans d’aventures. En vieux « pro » du thriller, Jacques de Saint Victor, dont c’est pourtant le coup d’essai, ne se laisse pas déborder par son abondante documentation. Il soigne ses personnages, fait des embardées et adore les digressions qui font monter la température chez le lecteur.
Ça court, ça pulse, ça tire de partout
En littérature, l’histoire, c’est ce qui reste quand on a tout oublié et il en tire le fil grâce à Théo, son narrateur âgé de 22 ans qui vient d’achever un DES à la faculté de droit du Panthéon. Hésitant entre l’université et le journalisme, le jeune homme a accepté de faire équipe avec Max, spécialiste du grand banditisme dans un magazine, dont il est devenu le grouillot. Ils enquêtent sur un gros coup : l’attaque par des pirates, entre Tanger et Malte, d’un vieux cargo qui transportait deux mille sept cents caisses de cigarettes américaines…
L’action se passe entre Marseille, Naples ou Ajaccio, mais surtout à Tanger, devenu après la guerre « un refuge pour les excentriques et les dégénérés du grand capital ». Le récit de Théo est entrelardé de carnets de Max, plongées dans le monde des caïds et narcotrafiquants.
Au fur et à mesure que le narrateur et le grand journaliste croient s’approcher de la vérité sur le méga-piratage de cigarettes, ça court, ça pulse, ça tire de partout. Si Hollywood existait encore, une grande compagnie déciderait sans attendre d’adapter ce livre au cinéma, « Soon to be a major motion picture », comme on disait jadis. Mais les temps ont changé et brisons là, car il ne saurait être question, après avoir pris grand plaisir à cette lecture, de vous priver du vôtre en vous divulgâchant la fin.