La Gallery Kent organise une nouvelle exposition intitulée « Azurium » avec trois artistes marocains d’Assilah : Narjisse El Joubari, Younes El kharraz et Mouad Yebari du 5 au 21 juin 2025.
Azurium, c’est le bleu commun de la Méditerranée, celui du ciel qui se reflète dans la mer, celui des songes et des soupirs. Mais c’est aussi l’envers de la transparence de l’air des Hespérides, le bleu-gris des ombres et celui des contrejours, le bleu des soleils noirs de l’Afrique du Nord. Ils viennent d’Assilah avec l’éclat de leur lumière et la matité de ses revers : Narjisse El Joubari, Younes El kharraz et Mouad Yebari.
Mouad Yebari
Dans quelles forges, au creux de la terre, Mouad Yebari va-t-il puiser son inspiration ? Il y a, dans l’air d’Assilah, ce petit port peint de blancheur, une dimension tellurique des plus puissantes, un affleurement des choses de l’intérieur aussi prégnant que ce que l’on peut éprouver, par exemple, à Essaouira. Sont-ce là parmi les portes de l’Au-delà ? Mouad Yebari l’a bien pressenti, il le vit : il appartient lui-même, en tant qu’enfant de sa ville, à ces forces telluriques. Ici, on subit des vertiges de bleus, de transparences et de mélancolie. L’ensemble du monde n’est plus qu’une traduction de la liquidité d’un ciel sans fin et de son immense océan, auquel est accotée la petite ville démunie et silencieuse. Pourtant, la réalité de l’ancrage sur ces terres, qui furent celles du dieu Pan et du démon Ladon, est bien ambiguë, obscure et organique, profonde — comme on récite un de profundis — et sanguine : sous les bleus du ciel et de l’océan, frémit une terre de feu et de sortilèges. Abderrafie Gueddali l’a bien écrit à propos de Mouad Yebari : son oeuvre naît d’une étincelle. Il nous suffira de tenter de comprendre de quelle étincelle il retourne, de quelles flammes, de quelles braises ou de quelles laves, de quelle lumière et de quelle obscurité nous parlons. C’est ici le parcours d’une vie, que s’essayer à trouver une réponse à de tels mystères. Au moins un sens ? Au moins un pressentiment…
Younes El Kharraz
Quel drôle de tournant vient de prendre l’oeuvre de Younes El Kharraz ! Nous lui connaissions une recherche picturale que l’on retrouve fréquemment dans l’histoire de la peinture marocaine, où une figure se cache derrière un travail d’abstraction ou de calligraphie, comme le font aujourd’hui encore les artistes Salah Taïbi et Zakarya Ramhani : une façon de ramener la contemporanéité de l’art et sa liberté de figuration à l’interdit d’image traditionnel et aux pratiques artisanales ancestrales. La démarche est parfaitement légitime et, quoiqu’assez littéraliste, elle mériterait qu’on l’analyse plus profondément ailleurs. Longtemps, maître des couleurs, Younes El Kharraz a caché des figures de femmes, couvertes de capelines ou cheveux au vent, lèvres en forme de cerise et regard farouche, dans des tourbillons touchistes des plus lyriques. Longtemps, Younes El Kharraz a ramené l’élégance et la légèreté de la peinture de Joaquin Sorolla sous une tempête gestuelle à la Joan Mitchell. Voilà quelle était sa façon de parler de la lumière d’Assilah, où il se laissait emporter par les plaisirs de la clarté, par l’éblouissement de la transparence, par la séduction des couleurs sudiennes de la médina. Son travail constituait un hommage permanent à la beauté de sa ville, de son pays, de sa culture.
Narjisse El Joubari
Narjisse El Joubari opère, elle aussi, sa grande révolution. Elle a pendant longtemps saisi le bleu d’Assilah pour en faire un cadre de ciel, des fenêtres de ciel et des mises en abyme du ciel dans la lucarne de la toile. Elle cherchait à la fois une épure, un contraste et, très probablement encore, à réduire l’expression à ce qu’elle représente de plus ténu et de plus essentiel. Un aplat de bleu, un aplat de noir, une giclée 5 blanche pour prouver que tout cela n’est bien que de la représentation, mais que cela vit quand même, un nuage quelque part, puis un petit item accroché dans un coin de l’oeuvre, comme le signe de la dérision de tout ce que nous entreprenons – c’est la part de vanité de l’oeuvre de Narjisse El Joubari – : ainsi, son travail est reconnaissable entre tous.
Gallery Kent,
19 Rue Jabha Wataniya,
90000 Tangier