La Saveur des miens, entre poésie du cœur et prose du monde.

Amel Souaïd présente « La Saveur des miens », un récit construit en sept tableaux indépendants. La narration circule et évolue à travers des morceaux d’histoires, des anecdotes, des souvenirs qui, au fur et à mesure s’éclairent les uns les autres pour venir conter l’histoire d‘une femme. Spectacle présenté dans le cadre d’une résidence à l’Institut Français de Tanger.


Après un voyage initiatique de plusieurs années à travers ses territoires intimes, Elle peut enfin prendre la parole pour conter les aventures de vie qu’il lui a fallu traverser ou revivre pour se libérer de l’histoire des siens et enfin se rencontrer. En contant cette histoire, elle continue à s’en libérer et nous transmet sa force.

Les sept tableaux successifs peuvent ainsi être envisagés comme des allégories intimes grâce auxquelles un récit de vie, une expérience intérieure peut venir s’extérioriser sur la scène. Elle livre sur scène une parole intime, qui vient du dedans, une parole qui relève de l’essentiel et qu’elle offre pourtant au regard du spectateur. Cette parole est en quelque sorte le passage de la poésie au théâtre ou plus exactement la trace de ce passage.

L’enjeu dramaturgique est de permettre de construire sur la scène un récit de vie susceptible d’interpeler le spectateur sur sa propre intériorité. La dramaturgie du spectacle est dès lors envisagée comme un outil pouvant rendre concret ce continent intérieur, invisible, tout en évitant « la confession dramatique ».

Elle parle vrai et librement. Sa sincérité est déconcertante, elle lui permet de prendre la distance nécessaire pour sourire et nous faire sourire du chaos qui parfois nous déborde. En effet, Elle en dit peut-être trop et monte sur scène pour venir s’amuser des conventions du théâtre, pour venir interpeler le spectateur sur sa capacité à inventer sa propre réalité. Il devient ainsi troublant de parvenir à départir ce qui semble réel de ce qui semble relever de la fiction ou de l’imagination. La langue devient ainsi parole créatrice, d’invention ou de réinvention.

L’important n’est pas d’identifier le vrai du faux puisqu’une fois sur scène tout devient vrai. Le récit d’une vie se construit ainsi à partir de la véracité des évocations, des réminiscences, des sensations, des émotions. Il s’agit d’une narration libre qui passe par la matière, le goût, les saveurs. Les différents tableaux qui se font écho à travers la pièce gagnent ainsi une portée symbolique.

Elle devient une sorte de rhapsodie qui assemblerait les différentes pièces et matières de sa vie pour en retrouver le sens.

Co-production :
Le Fantastique Collectif et TinaWaNa Cie

Un texte d’Amel SOUAÏD
Mise en scène: Sifiane EL ASAD
Assistante à la mise en scène: Isabelle Nodenot
Assistante de projet: Julie Mazerolles
Son et Lumière: Steve Lanuit

Interprétation: Amel SOUAÏD

Espace Beckett
Institut Français de Tanger
http://if-maroc.org/tanger/spip.php?rubrique24

Jeudi 25 juin à 22h00: Work-In-Progress public
Vendredi 26 juin à 22h00 : Avant Première

A propos d’Amel Souaid

Elle est conteuse par nature, tout récit quotidien prend dans sa bouche du poids et de la dimension. Elle sait faire de chaque événement de la vie une histoire, ce n’est pas volontaire, c’est par inadvertance, elle ne le cherche pas a priori, elle n’amuse pas la galerie, du moins pas consciemment pour faire le show, elle ne veut pas briller, elle n’a pas le choix, elle raconte, elle est en paroles comme si elle était un roman.

Son père lui demande d’arrêter de se répandre, seulement elle ne peut pas. Prendre la parole, c’est dire, c’est chercher sa place, c’est célébrer, c’est rendre hommage, c’est dénoncer, c’est refuser, c’est régler ses comptes ; devenir étranger.

Le silence serait plus confortable, le silence imaginé comme un respect, respect des convenances, un accord tacite, pour ne pas perturber l’ordre des temps et des générations. Parler c’est prendre un risque, le risque qu’on cesse de vous aimer, qu’on vous reproche d’avoir trahi, troublé la surface d’une eau d’apparence insupportablement plate, c’est se confronter au chaos et le regarder dans les yeux. Dire l’imposture.

La parole a un coût.

Mais garder le silence aussi…

La matière Souaid est dense, intime et politique. Kaléidoscopique.

Elle est à la frontière de l’oral et l’écrit. Elle joue avec cette frontière, elle qui croit ne pas maîtriser la langue. Ses récits se transmettent d’évidence de la bouche à oreille, tout en assumant soudain leurs qualités littéraires.

Elle cherche aussi, et c’est douloureux, à naviguer face à ce qu’on attend d’elle, malgré elle. On attend d’elle des récits couleur locale, elle cherche la distance, le regard périphérique, la bonne distance, elle la trouve, puis ne la trouve plus, elle tombe dans le panneau, elle a des rejets mais finit par en jouer, elle joue à s’attacher et à se détacher. Le télescopage, le tissage des textes et des sensations produit peu à peu du sens, se nuance, s’enrichit. C’est dans le dialogue entre les différents récits que le point de vue s’aiguise. Elle lutte contre son histoire, ou peut-être avec, pour la récupérer, pour en tout cas la faire sienne. Et la lutte est passionnante à voir et à entendre.

La lutte pour rompre le silence.

Se bousculer et bousculer.

Vincent Lécuyer

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