Des cimetières et dessins vieux de 4000 ans révèlent les rites préhistoriques de la péninsule de Tanger, au Maroc. Les tombeaux phéniciens de Marshan en sont la preuve factuelle, encore aujourd’hui.

Le nord du Maroc révèle un paysage préhistorique oublié, riche en tombes anciennes, arts rupestres et pierres dressées, témoignant d’une vie rituelle complexe (et insoupçonnée) entre 3000 et 500 av. J.-C.
« Il est triste de constater que les paysages funéraires et rituels de la préhistoire tardive en Afrique du Nord, à l’ouest de l’Égypte, restent, malgré deux siècles d’investigations, parmi les moins connus et compris du bassin méditerranéen. » Telle est l’observation des archéologues de la région.
Pourtant, en investiguant sur des sites datés entre 3000 et 500 av. J.-C. dans la péninsule tingitane (ou péninsule de Tanger, nord du Maroc), ils ont mis au jour une impressionnante diversité de pratiques funéraires anciennes : sépultures en grottes, tombes en fosses, hypogées, tumulus et surtout, cistes mégalithiques, qu’ils décrivent enfin dans la revue African Archaeological Review le 13 mai 2025.
Aux racines du sacré préhistorique nord-africain
Longtemps, tous ces monuments funéraires ont été négligés par l’archéologie coloniale focalisée sur l’Antiquité classique, soulignent les auteurs de l’étude. Pourtant, leurs découvertes mettent en évidence une « mosaïque riche de traditions funéraires ».
À commencer par les trois cimetières renfermant des cistes mégalithiques, ces trous taillés dans la roche puis recouverts de grandes dalles de pierre. Pour la toute première fois en Afrique du Nord-Ouest, les ossements humains que contenaient ceux du site archéologique de Daroua Zaydan ont été datés au radiocarbone, aux alentours de 2100 av. J.-C.
Cette datation valide l’ancienneté de cette tradition funéraire – plus de 4 000 ans, donc – et sa probable origine locale. Mais les recherches ont également révélé des influences venues d’Ibérie, en témoignent certains objets métalliques retrouvés : des pointes de projectiles de Palmela (du nom du site archéologique où elles ont été initialement identifiées) et des hallebardes (développées en Europe centrale puis diffusées vers l’ouest), notamment.
Aux alentours des cimetières de la péninsule tingitane, les archéologues ont aussi repéré des pierres aux tailles différentes, orientées vers le ciel. Certains sites mégalithiques en comptaient plusieurs regroupées.
Celui impressionnant de Mzoura, par exemple, à environ 40 kilomètres au sud-ouest de l’actuelle Tanger, englobe au moins quatre à cinq groupes de pierres. Le plus grand en est composé de 176, disposées en cercle, dont la plus haute atteint une hauteur impressionnante de 5,3 m. De telles dispositions sont souvent interprétées comme des marqueurs territoriaux durant la Préhistoire. Il est ainsi fortement possible que ces sites aient autrefois servi de lieux de rassemblement ou de rituels.

La péninsule tingitane, centre culturel oublié
L’étude recense enfin dans la même région vingt-quatre nouveaux sites d’art rupestre (peintures et gravures), à la grande variété de dessins géométriques et souvent situés à proximité de tombes. Un en particulier, retrouvé dans la grotte Magara Sanar 1, présente « huit triangles opposés l’un sur l’autre ». Il s’agit d’une représentation dite « bi-triangulaire », observée dans l’art rupestre du sud-ouest de l’Ibérie. Elles sont souvent interprétées comme des figures anthropomorphes (ressemblant à des êtres humains), parfois féminines.
Plusieurs autres motifs – des compositions à points, des carrés contenant des points et des lignes, des quadrillages et cupules – présentent en outre des similitudes avec ceux observés dans le désert du Sahara, notamment dans l’art pré-saharien et saharien, est-il noté.
Les auteurs de l’étude concluent ainsi que la péninsule tingitane, loin d’avoir été un simple arrière-plan de l’histoire méditerranéenne, a été entre 3000 et 500 av. J.-C. un véritable carrefour rituel et culturel, connecté durablement à l’Ibérie, au Sahara et aux mondes atlantiques. À travers la densité de ses monuments funéraires et la richesse de son art rupestre, la région révèle un paysage sacré complexe, structuré autour de lieux stratégiques.
De quoi remettre en question les récits de longue date qui ont relégué le nord-ouest de l’Afrique au rang de zone marginale avant l’annexion romaine. Elle était en réalité peuplée d’une société dynamique, dotée de croyances ancrées et en constante interaction avec ses voisins, que l’archéologie contemporaine commence à réhabiliter pleinement.
En tant que fervente passionnée du journalisme scientifique, sujet sur lequel elle a écrit son mémoire en école de journalisme (@ISCPA_Paris, @IEJ_Paris), Mathilde s’attache à traduire les avancées de la recherche en histoires intelligibles, offrant ainsi aux lecteurs des clés de compréhension sur des sujets des plus stimulants. Son parcours l’a menée à écrire sur de multiples rubriques (technologie, santé, sciences, lifestyle) avant de rejoindre GEO.fr en juillet 2022. Captivée par les vestiges enfouis sous nos pieds et par la façon dont les récits du passé résonnent encore dans le présent, elle s’est tout naturellement consacrée à la section Histoire du site. Elle y explore les mondes des hommes préhistoriques, des Romains, des Mayas, des Vikings, pour les plus fréquents (du moins, ce qu’il en reste). Civilisations perdues, batailles épiques, portraits de personnalités méconnues, mystères non résolus sont également au programme pour éveiller la curiosité de ses lecteurs. Elle prête parfois sa voix aux différents formats du compte Instagram de @geo_france. En dehors de la rédaction, vous la croiserez sûrement avec un podcast d’histoire vissé aux oreilles, un polar sous le bras, en compagnie d’animaux mignons ou en terrasse dégustant une burrata.