Jasper Conran, propriétaire de la maison d’Yves Saint Laurent à Tanger

Jasper Conran est le nouveau propriétaire de la villa marocaine du grand couturier français, décédé en 2008. La Fondation Majorelle a donné son accord pour la vente de la demeure. Le produit de la vente servira à financer des initiatives au Maroc.

Villa Mabrouka à Tanger photo Anna Gaël Rio
Villa Mabrouka à Tanger (photo Anna Gaël Rio)

Acquise dans les années 1990 par le duo phare de la mode parisienne Yves Saint Laurent et Pierre Bergé, la villa Mabrouka, «maison de la chance» située à Tanger, vient de trouver preneur en la personne du styliste Jasper Conran, l’un des fils de Terence Conran. Le nouveau propriétaire «poursuivra sans aucun doute le riche patrimoine du bien et contribuera à la renaissance vibrante et cosmopolite de Tanger», annonce la fondation Jardin Majorelle, dirigée par Madison Cox, dans un communiqué. Créateur de collections de prêt-à-porter féminin mais aussi de costumes de scènes, Jasper Conran, lui aussi amoureux du Maroc, a ouvert un hôtel à Marrakech, en 2016, au cœur de la médina.

La fondation Majorelle précise que le produit de la vente bénéficiera à la fondation marocaine Jardin Majorelle, à but non lucratif, conformément aux instructions de Pierre Bergé, cofondateur de la maison Yves Saint Laurent. Les revenus serviront à financer des initiatives culturelles, éducatives ou caritatives au Maroc.

Amoureux du Maroc

La villa Mabrouka était celle choisie par Yves Saint Laurent pour ses dernières années. Il avait confié à Jacques Grange la rénovation et la décoration de cette superbe maison. Le couturier et Pierre Bergé entretenaient, tous deux, des liens de longue date avec le royaume chérifien. En 1966, le duo s’était rendu pour la première fois au Maroc. À Marrakech, ils ont passé des jours heureux et prennent l’habitude de s’y rendre plusieurs fois par an. Yves Saint Laurent puise sur place l’inspiration pour quelques-unes de ses collections. Avec Pierre Bergé, ils ne cesseront de s’investir activement en faveur du Maroc. Le Jardin Majorelle et le musée Yves Saint Laurent de Marrakech en sont les deux témoins de leur passion marocaine.

Villa Mabrouka à Tanger
Villa Mabrouka à Tanger

Depuis la mort de Bergé à l’âge de 86 ans, plusieurs biens du couturier sont passés sous le marteau. L’année dernière, 800 objets d’art ayant appartenu à l’homme d’affaires et esthète et provenant de ses quatre résidences ont permis de recueillir 27,5 millions d’euros, établissant un record chez Sotheby’s à Paris.

A propos de Jasper Conran

Jasper Conran, le designer qui réinvente le lifestyle

PORTRAIT – Le nouveau patron des magasins The Conran Shop redéfinit l’art de vivre britannique.

Il arrive qu’une scène de cinéma se rejoue devant vos yeux. Prenez le film Blow Up de Michelangelo Antonioni ; l’action se déroule à Londres au milieu des années 1960. Dans une des premières séquences, le héros, un photographe de mode joué par l’élégant David Hemmings, roule au volant d’une Rolls Royce décapotable avec intérieur en cuir crème. Il s’arrête dans une rue calme, descend prestement de son véhicule et pousse la porte d’un magasin d’antiquités. Presque cinquante ans plus tard, à Fulham Road, dans le quartier de Chelsea, à Londres toujours: Jasper Conran coupe le contact de sa Bentley décapotable, de couleur bleu marine avec sellerie crème, traverse la rue pour se rendre à son shop: The Conran Shop, justement. Même blondeur de cheveux que l’acteur, les yeux bleus aussi clairs, il porte peu ou prou la même veste de blazer sur une chemise rouge à carreaux vichy – celle de Hemmings était bleue.

Jasper Conran
Jasper Conran

L’acteur incarnait une forme d’équanimité désinvolte, la décontraction britannique chic. Changement d’époque, Jasper Conran, digne héritier de ce Swinging London, doit réinventer ce style anglais et dépasser l’omniprésente figure de son père, sir Terence Conran, le gourou du beau, l’homme dont on dit qu’il a inventé le lifestyle, rien de moins. «C’est sans doute vrai, reconnaît Jasper Conran de sa voix douce, même si d’autres, architectes, designers, y ont également contribué.» Une paternité pesante. Terence Conran ouvre le premier Habitat à Londres en 1964 et son Conran Shop en 1984, signe toute une série d’hôtels, résidences, terminaux d’aéroports au Royaume-Uni, au Japon, en Inde, dessine des meubles, publie des livres qui restent des références, ouvre une demi-douzaine de restaurants…

Mais depuis deux ans, c’est Jasper le grand patron de The Conran Shop, qui compte deux magasins à Londres, un à Paris et sept au Japon. Qu’est-ce qui peut pousser un homme de 54 ans, déjà riche, reconnu pour son talent, designer installé, professeur à l’université d’arts de Londres, à se lancer dans une telle affaire, à reprendre l’entreprise familiale et des adresses en perte de vitesse, tout en risquant de se cogner à la figure paternelle?

Allures de bazar ultrachic

D’autant que chez les Conran, les relations n’ont pas toujours été simples. Ses parents divorcent quand il a 2 ans, une expérience traumatisante. Sa mère Shirley est l’auteur énervée de Superwoman, considéré comme un des premiers livres féministes, plutôt un guide dans lequel elle explique que la vie est trop courte pour perdre son temps en tâches ménagères. Entre elle et son fils, encore aujourd’hui, tout n’est pas si simple. La scolarité du jeune Jasper est problématique, mais il dessine merveilleusement bien. À 15 ans, il part à New York étudier la mode à la Parson’s School of Design. Quatre ans plus tard, il vend ses premières pièces dans les magasins Henri Bendel, puis revient à Londres, où il se retrouve vite sous les feux des projecteurs. Il reconnaît que s’appeler Conran n’a pas nui à ce succès. Avec quelques autres, il lance la London Designer Collection qui deviendra la London Fashion Week. «En tant que designer de mode, il a connu son heure de gloire dans les années 1980. Pendant quatre ou cinq saisons, il a beaucoup été question de lui. Toutefois, il n’a jamais réellement atteint les sommets», remarque un journaliste britannique.

En effet, les années passent, son étoile décline un peu et il change de registre, préférant concevoir une mode plus discrète. Sa dernière collection féminine mettait en avant des vêtements simples, sport, réalisés dans des matières nobles. Au fil des années, il se rapproche de son père aussi. Sans doute ses goûts, son expérience professionnelle, sa réussite ont-ils fait de lui l’héritier naturel.

Il n’aime pas le luxe dans sa version clinquante. Sa réinvention du lifestyle se fait sans dépenses somptuaires: «Un architecte d’intérieur de renom est venu me voir à Fulham Road. Il a fait un tour rapide du magasin et m’a dit, sans plus de détails: “Il va falloir cinq millions de livres sterling pour refaire la décoration.” Je l’ai remercié pour sa contribution. Finalement, tout cela ne m’a rien coûté. Il s’est juste agi d’épurer, d’éliminer, de faire de nouveaux choix.»

Bazar ultrachic

À côté d’enseignes françaises très haut de gamme, The Conran Shop parisien, rue du Bac, a des allures de bazar ultrachic, où de sublimes pièces de designers – dont, cet automne, une collection exclusive de mobilier issue d’une collaboration avec l’Anglais Magnus Long – côtoient de délicieuses babioles bon marché et autres objets improbables comme ces sets de badminton un peu désuets. À l’adresse londonienne de Fulham Road, le rayon des jouets est craquant. Au centre du magasin, une grande table, «le centre de tout. C’est celle où je pourrais me retrouver avec mes frères et sœurs, et leurs quatorze enfants.» Quand certains semblent vouloir muséifier le design, Jasper Conran lui donne de la bonne humeur, de la chaleur, le rend sympathique. Dans le nouveau shop de Marylebone High Street, toute une sélection de mobilier d’extérieur et de cache-pots semble vouloir répondre à ce désir de verdure des urbains. Rien d’étonnant de la part de Jasper Conran, pour qui le luxe peut se résumer à la sensualité du «parfum d’une tulipe perroquet au printemps».

Il y a quatre ans, il publiait un livre sobrement intitulé Country, où ses réflexions sur le rapport de l’homme moderne à la nature, ses rêveries, accompagnaient des photos de sous-bois, de natures mortes et de scènes de vie des gens de la campagne d’aujourd’hui. Un ouvrage captivant et inspirant, éloge d’un quotidien serein, qui en dit long sur son auteur, l’officier de l’Ordre de l’Empire britannique qui passe ses week-ends à entretenir le potager bio de son cottage de Sherborne, dans le Dorset, avec son chien Franck, multiplie les escapades à Ven House, son manoir du XVIIIe siècle en brique rouge, à Milborne Port, dans le Somerset, ou au Wardour Castle de Tilsbury, dans le Wiltshire – où fut tourné le film Billy Elliot. Il dispose aussi d’une maison dans le quartier de Bayswater, à Londres, d’une autre en Grèce, qu’il qualifie humblement de «camping avec des murs»… Ajoutez à cela le poulet rôti sauce estragon et quelques verres de château Lynch-Bages, ses gourmandises. Voilà les bases du lifestyle «conranien», version Jasper. Un idéal classique teinté de nomadisme mondain, dans la plus belle tradition britannique. Une coolitude bourgeoise pour un homme apaisé.

Stéphane Reynaud – Le Figaro.fr

 

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